Au cœur de l’immensité bleue de la Polynésie française, où les îles sont aussi dispersées que les distances sont vertigineuses, la justice prend la mer ou les airs. Le documentaire « Polynésie, des îles sans tribunal fixe », diffusé ce lundi dès 00h40 sur France 3 (Date et Horaire Métropole, ndlr), réalisé par Isabelle Curet et produit par Elephant Production avec la participation de France Télévisions, nous embarque dans un road-movie judiciaire inédit, entre Bora-Bora et les îles Marquises.
Ici, point de palais de justice imposant ni de robe noire ancrée dans la routine : une fois par mois, juges, avocats et procureurs quittent le tribunal de première instance de Papeete pour aller rendre la justice dans les îles éloignées. Écoles désaffectées, mairies ou salles des fêtes deviennent alors, le temps de quelques heures ou quelques jours, les scènes improvisées d’audiences solennelles.
Le film nous plonge dans cette justice foraine, mobile par nécessité, solidaire par obligation, humaine par nature. Car dans cet archipel grand comme l’Europe, l’accès au droit n’est jamais une évidence. Tout doit être organisé, anticipé, coordonné avec les liaisons maritimes ou aériennes. À chaque déplacement, les magistrats deviennent aussi compagnons de voyage, confrontés ensemble aux imprévus logistiques et aux réalités du terrain.
Un regard sensible et engagé
Ce documentaire est né d’un moment anodin mais révélateur : lors du tournage de Défendre, son précédent film sur un cabinet d’avocats pénalistes, Isabelle Curet assiste à une scène frappante. Un vieil homme venu de Polynésie, empêtré dans un conflit de voisinage, attend désespérément l’arrivée du tribunal forain pour espérer faire valoir ses droits. Un déclic pour la réalisatrice, interpellée par cette forme de justice à la fois rare, méconnue, et pourtant si essentielle.
« Moi qui suis désespérée par la lenteur de la justice en métropole, j’ai découvert qu’une justice proche de ses justiciables existe, à l’autre bout du monde, » explique-t-elle dans sa note d’intention. Le film s’attache alors à interroger la capacité de cette justice à répondre aux besoins spécifiques des populations insulaires, tout en montrant les limites d’un système confronté à l’éloignement, à la précarité d’infrastructures, à la rareté des professionnels du droit.
Isabelle Curet est connue pour son approche humaine et immersive. Collaboratrice régulière de l’émission Invitation au voyage sur Arte, elle signe ici un documentaire de 56 minutes à la fois intime, rigoureux et profondément dépaysant. Après avoir exploré l’univers des maisons containers ou encore le quotidien de la défense pénale (Défendre, sélectionné au Fipadoc 2022), elle s’attaque à une nouvelle facette du service public, dans un décor où tout semble jouer contre lui – sauf la détermination de celles et ceux qui le font vivre.
En montrant l’envers du décor d’une justice lointaine, souvent absente des radars médiatiques, « Polynésie, des îles sans tribunal fixe » rappelle qu’un État de droit ne peut être à deux vitesses. Il invite aussi à repenser la notion même de service public : jusqu’où doit-il aller pour remplir ses missions ? À quelles conditions peut-il rester équitable, même aux confins de son territoire ?
Un documentaire à ne pas manquer, pour découvrir une autre manière de rendre justice — et une autre manière de filmer le monde.