
En 2024, les Outre-mer ont fait la une de l’actualité : épidémie de choléra à Mayotte, crise de l’eau persistante, sécheresse des fleuves en Guyane, tensions sociales aux Antilles, ravages du cyclone Chido… Mais derrière ces titres dramatiques et souvent éphémères, que savons-nous vraiment de la vie quotidienne dans ces territoires ? Que savons-nous de celles et ceux qui y vivent, au-delà des stéréotypes et des chiffres ?
C’est pour répondre à cette question qu’est né « Nous ne sommes jamais dans les livres – Autoportrait de la France des outre-mer », un projet porté par La ZEP (Zone d’expression prioritaire) sous la direction des journalistes Emmanuel Vaillant et Édouard Zambeaux. Avec 160 récits issus d’ateliers d’écriture menés dans cinq départements d’outre-mer – Mayotte, Guyane, Réunion, Guadeloupe et Martinique –, cet ouvrage offre une immersion sans filtre dans les réalités, les douleurs, les fiertés et les contradictions de la France ultramarine.
Écrit à hauteur d’humain, ce livre donne à entendre des voix longtemps tues ou ignorées. Adolescents en quête d’avenir, mères seules, retraités, artistes, enseignants, sans-papiers, militants écologistes ou lycéens en rupture : de 13 à 80 ans, les narrateurs et narratrices de ce recueil dressent un autoportrait collectif, pluriel, fragmenté mais puissant de ces territoires souvent perçus comme périphériques.
« Ni tout à fait dedans, ni tout à fait dehors », écrit l’un des auteurs. Cette phrase résume l’ambiguïté ressentie par nombre d’Ultramarins : une appartenance française indiscutable dans les textes, mais souvent contredite dans les faits. L’ouvrage aborde ainsi sans fard les inégalités persistantes – coût de la vie, infrastructures défaillantes, discriminations, exil éducatif –, mais aussi l’attachement indéfectible à la culture locale, aux paysages et à la langue.
Si les Outre-mer sont trop souvent réduits à des cartes postales ou à des faits divers, « Nous ne sommes jamais dans les livres » choisit au contraire de brouiller les représentations simplistes. Les témoignages abordent aussi bien la poésie de la nature que les embouteillages monstres, les violences sexistes que les traditions musicales, les discriminations de couleur de peau au sein même des communautés, que les luttes locales pour la justice environnementale.
Il ne s’agit pas ici de dresser un portrait uniforme : chaque territoire a ses spécificités, chaque récit est une voix singulière. Ce sont justement ces dissonances, ces nuances, cette diversité de regards qui font la force de ce livre.
Dans la lignée des précédentes publications de La ZEP (Vies majuscules en 2020 et Moi, jeune en 2022), ce projet poursuit un objectif clair : rééquilibrer la parole publique en la confiant à ceux qu’on entend rarement. Emmanuel Vaillant et Édouard Zambeaux, journalistes engagés dans la valorisation des récits invisibilisés, ont conçu ce livre comme un acte éditorial et politique, une forme de réparation symbolique.
Plus qu’un simple recueil de témoignages, « Nous ne sommes jamais dans les livres » est une invitation à écouter autrement. À lire non pas sur les Outre-mer, mais depuis les Outre-mer. C’est aussi un outil précieux pour toute personne – citoyenne, enseignante, élue – qui souhaite mieux comprendre les réalités françaises au-delà de l’Hexagone.